Mariage ou Pacs ? Fête bohême dans un champ ou réception chic dans un château ?
Célébration entre deux témoins, à 50 ou à 300 ?
Robe longue ou robe courte ? Costume ou bermuda ? Nœud papillon ou cravate ?
Cérémonie laïque ou religieuse, ou juste la mairie ? Canon de Pachelbel ou Marry me pour l’entrée du couple ? Riz, pétales de fleurs ou confettis pour la sortie ? Discours de deux minutes ou de trois heures ? Echanges de vœux ou des simples consentements ?
On aura beau faire, il y a ce qu’on veut partager et transmettre le jour où on s’unit à la personne qu’on aime et aussi tout ce qu’on dévoile sans s’en rendre compte. Il y a tous ces détails où vos invités vanteront votre goût et vos talents d’organisation et tous les autres moments où ils diront « ça c’est bien eux ! ». Il y aura les décisions que vous prendrez en vous inspirant de tableaux Pinterest ou de blogs en vue et il y a tous les choix que vous ferez sans vous en rendre compte, juste parce que c’est vous ! Inviter ou pas les grands oncles et tantes, ça vous semble une évidence ! Et pourtant c’est loin d’en être une, posez la question autour de vous et vous serez étonné.e.s de la pluralité des réponses. Choisir un bouquet de roses rouges, même pas en rêve ! Cherchez pourquoi et vous comprendrez à quel point ce choix vous représente !
Il y a la fête qu’on veut faire et la fête qu’on fait, souvent les deux se croisent et c’est ça qui lui donne son goût si particulier !
Au fil de mes lectures, je cherche à mieux comprendre ce qu’est le mariage, ce qu’il représente et comment il est appréhendé. Je voudrais donc m’arrêter aujourd’hui sur un article croisé dans Mariages et homosexualités dans le monde, dirigé par un collectif de chercheurs en sciences humaines.
Il y a une mine d’informations et de thèses intéressantes dans ce livre alors il est possible que je vous en reparle. Aujourd’hui je m’arrêterai cependant sur l’article consacré au concept d’égalité dans les pays scandinaves. Et je me concentrerai plus précisément sur l’exemple suédois. Bon en vrai, j’aime bien l’exemple suédois sur de nombreux sujets 🙂
Quel rapport avec le mariage me direz-vous ? Et bien justement ! L’ouverture du droit au mariage pour les couples homosexuels est le résultat d’un cheminement qui s’interroge perpétuellement sur l’égalité entre les individus. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui la sexualité – au sens d’orientation sexuelle – est décorrélée de la question du droit au mariage.
Mariage et égalité
Le mariage est ouvert aux individus et leur assure une série de droits peu importe leur sexualité. Mieux même, le sujet n’est pas de considérer que la sexualité des individus n’importe pas. On considère plutôt que cette donnée fait partie de la sphère privée. Elle n’est donc pas différenciante d’un point de vue légal.
Dès le début des années 80, le gouvernement suédois a travaillé à la fois sur la place des homosexuels dans la société et sur une réforme du mariage. Ces deux réflexions répondent au principe d’égalité évoqué ci-dessus. L’interrogation porte à la fois sur l’importance de considérer l’homosexualité à égalité avec l’hétérosexualité (pas de différence entre les individus, quelle que soit leur vie privée) et sur la création d’une protection légale égale entre les couples non mariés et mariés.
Les réflexions ont commencé dès 1984, oui 1984 ! Au risque de paraître insistante, ça veut dire qu’en Suède on se posait la question de l’égalité entre homosexualité et hétérosexualité presque 30 ans avant que certains manifestent en France pour dire que la famille c’est un papa et une maman et que le pacs ça suffit bien pour les couples homo, etc. etc. C’est une des raisons, pour lesquelles j’aime bien les exemples suédois, ils ont très souvent une grande longueur d’avance !
De l’association domestique au partenariat enregistré
Bon je reprends. Au terme du débat parlementaire, deux lois de cohabitations ont été votées en 1987. Elles accordaient des droits et une protection aux couples cohabitants non mariés. Une loi concernait spécifiquement les couples homo, l’autre les couples hétéro. Il y avait donc une avancée avec une reconnaissance d’une « association domestique » pour les couples vivant ensemble mais le simple fait qu’il y ait deux lois était un facteur de discrimination. Il a d’ailleurs rapidement été remis en cause (dès 1994) et les deux lois ont été fusionnées en 2003.
2003, ça fait tard ! Mais, c’est aussi parce que dès 1994, un pas supplémentaire a été fait, avec le « partenariat enregistré ». Ce contrat accorde aux couples non mariés (hétéro et homo) une série de droits et devoirs très proches de ceux des couples mariés. Là encore, ils sont trop forts ces Suédois ! Je m’explique. Dès 1994, une loi a permis aux couples qui ne pouvaient pas se marier et aux couples qui ne voulaient pas se marier de s’inscrire dans un cadre légal. Certes, sur ce point, c’est seulement 5 ans d’avance sur la France, en même temps le « partenariat enregistré » c’est bien plus que le PACS. De fait, la série d’amendements autour de ce contrat a conduit à en faire un équivalent du mariage nous explique Marie Digoix dans l’article.
L’ouverture du droit au mariage aux couples homosexuels date, elle, de 2009, et les couples homo peuvent adopter depuis 2002.
En Suède, le cadre légal de la conjugalité et de la parentalité est donc pleinement égalitaire. Sur ces questions, tous les individus sont égaux. Il n’y en a pas de plus égaux que les autres pour reprendre la formule d’Orwell. Et moi je trouve ça super, simplement, et je voulais partager mon enthousiasme avec vous.
Marie Digoix, « Scandinavie. Le concept nordique d’égalité entre différenciation et universalisme », dans V. Descoutures, M. Digoix, E. Fassin, W. Rault (dir.), Mariages et homosexualités dans le monde, L’arrangement des normes familiales, Les éditions autrement, 2008
Je suis profondément convaincue qu’on ne se marie jamais seulement à deux. D’ailleurs, je crée très peu de cérémonies où seul le couple prend la parole. Pour moi c’est plus large. Je reprendrais volontiers le mot de Claude Levi-Strauss dans son livre Le regard éloigné. Il utilise l’expression de « famille conjugale », et vous allez voir elle recouvre tous les sens qu’on peut y attacher.
La famille conjugale ?
Dans le chapitre 3, l’ethnologue s’interroge sur le mariage et essaie de trouver un point commun à toutes les formes de couples et de familles observées dans le monde. Il nie assez rapidement l’idée d’une universalité du mariage et du couple monogamique, en invoquant l’existence même de nombreux contre-exemples. Néanmoins, il reconnaît qu’aussi loin qu’on puisse remonter depuis l’écriture et Hérodote, la « famille conjugale » est assez fréquente.
Dans chacune de ses formes, on identifie l’origine de cette « famille conjugale » dans le mariage. La famille inclut à l’origine un couple, qui s’organise autour des enfants. Les membres de la famille sont unis par des liens, des droits et des obligations (dictés par le droit, l’économie, la religion ou d’autres institutions). On identifie également un ensemble variable de sentiments qui créent le lien au sein de la famille conjugale (amour, crainte, respect, affection, etc.).
Ce qui dépasse ces quelques points communs, c’est que parmi toutes les sociétés étudiées, le couple à l’origine de la « famille conjugale » est lui aussi issu de familles. Logique, évidemment. Mais ce qui est intéressant c’est que la naissance d’un nouveau couple a une influence sur l’organisation des sociétés. En effet, le mariage, ou l’union, s’imbrique dans un réseau d’alliances. Quand j’épouse Jules, je m’allie aussi à la famille de Jules. Si un conflit impliquant la famille de Jules survient, ma famille sera un soutien pour celle de Jules.
Le mariage créateur de société
« Dès lors que l’on reconnait que le mariage unit des groupes plutôt que des individus », on peut éclairer beaucoup de coutumes note Claude Lévi-Strauss. Le mariage est une forme d’union reconnue par la société, par exemple aujourd’hui il n’a de valeur que s’il est validé par l’Etat. C’est aussi un acte fondateur de société via le lien qui se crée entre les groupes familiaux d’origine. Cette union entre deux êtres issus de familles différentes est aussi ce qui permet d’éviter l’endogamie et de créer le lien social. Cette mixité crée la société.
En Nouvelle Guinée, on dit que « le mariage a moins pour but de se procurer une épouse que d’obtenir des beaux-frères », je vous laisse méditer là-dessus quand vous rechignerez à l’idée d’aller dans sa famille. Dites-vous que par votre union et votre famille conjugale vous faites acte de société et participez à son renouvellement !
Le regard éloigné, Claude Lévi-Strauss, Plon, 1983. Chapitre 3 : famille, mariage, parenté.