Alain Badiou, Éloge de l’amour

C’est quoi l’amour ?

Des ennemis à l’amour ?

éloge de l'amourL’expérience de l’amour est une construction de vérité. Oui tout simplement ! En tout cas, c’est la thèse qu’Alain Badiou soutient dans son Éloge de l’amour. Répondant aux questions de Nicolas Truong, il développe son idée pour redonner ses lettres de noblesse à l’amour.

Selon lui, l’amour est menacé par deux ennemis : la sécurité et le confort. Ces ennemis sont notamment représentés sur les sites de rencontres qui, pour lui, reprennent les éléments d’un mariage arrangé. Cette fois ce ne sont plus les familles qui posent les règles cherchant le profit financier ou social d’une union, mais le principe est le même : on ne laisse pas de place au hasard ni au risque en connaissant beaucoup de choses de la personne avant même de la rencontrer. C’est la position d’Alain Badiou et on peut la remettre en cause mais continuons.

Une définition de l’amour ?

Le vrai intérêt de Badiou est de proposer une définition de l’amour comme une expérience universelle et pourtant très concrète. Certes, l’amour est universel car on ne compte pas les exemples d’êtres amoureux, mais ici c’est plus que ça. La portée universelle de l’amour est présente en ceci que l’amour permet d’expérimenter le monde du point de vue de la différence et non de l’identité. L’amour part toujours d’une séparation, car il est la rencontre de deux personnes différentes, dotées de subjectivités différentes. En cela, « l’amour ça traite d’abord d’un Deux ». Mais d’un Deux qui se rencontre. Et c’est seulement à partir de cet événement contingent et hasardeux que s’enclenche le processus qu’est l’amour, au sens d’expérience du monde du point de vue de la différence.

Alain Badiou défend l’amour au-delà de la rencontre romanesque, au-delà du « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Pour lui, l’amour est justement ce qui arrive après le mot « fin » des contes. L’amour, c’est cette construction, cette « aventure obstinée » parfois difficile, parfois proche du miracle qui s’inscrit dans la durée. On pourrait presque reprendre ses mots pour revenir sur son avis sur les sites de rencontres : passée la rencontre, événement contingent à un site de rencontre, un groupe d’ami, une attente à la boulangerie, tout couple fait l’expérience de l’amour dans la durée. Quel qu’ait été le vecteur de la rencontre, l’expérience du monde via le Deux est toujours présente et la construction de cette expérience s’inscrit dans le temps et dans un effort constant pour continuer à examiner le monde du point de vue de la différence et non de l’identité.

Ainsi, « le vrai sujet de l’amour est le devenir du couple et non la satisfaction des individus qui le composent ».

Alain Badiou, Nicolas Truong, Éloge de l’amour, Flammarion, 2009

On ne se marie jamais seulement à deux…

Le regard éloigné : mariage et familles

couple conjugale

Je suis profondément convaincue qu’on ne se marie jamais seulement à deux. D’ailleurs, je crée très peu de cérémonies où seul le couple prend la parole. Pour moi c’est plus large. Je reprendrais volontiers le mot de Claude Levi-Strauss dans son livre Le regard éloigné. Il utilise l’expression de « famille conjugale », et vous allez voir elle recouvre tous les sens qu’on peut y attacher.

La famille conjugale ?

Dans le chapitre 3, l’ethnologue s’interroge sur le mariage et essaie de trouver un point commun à toutes les formes de couples et de familles observées dans le monde. Il nie assez rapidement l’idée d’une universalité du mariage et du couple monogamique, en invoquant l’existence même de nombreux contre-exemples. Néanmoins, il reconnaît qu’aussi loin qu’on puisse remonter depuis l’écriture et Hérodote, la « famille conjugale » est assez fréquente.

Dans chacune de ses formes, on identifie l’origine de cette « famille conjugale » dans le mariage. La famille inclut à l’origine un couple, qui s’organise autour des enfants. Les membres de la famille sont unis par des liens, des droits et des obligations (dictés par le droit, l’économie, la religion ou d’autres institutions). On identifie également un ensemble variable de sentiments qui créent le lien au sein de la famille conjugale (amour, crainte, respect, affection, etc.).

famille conjugale
© Cheryl Winn Boujnida

Ce qui dépasse ces quelques points communs, c’est que parmi toutes les sociétés étudiées, le couple à l’origine de la « famille conjugale » est lui aussi issu de familles. Logique, évidemment. Mais ce qui est intéressant c’est que la naissance d’un nouveau couple a une influence sur l’organisation des sociétés. En effet, le mariage, ou l’union, s’imbrique dans un réseau d’alliances. Quand j’épouse Jules, je m’allie aussi à la famille de Jules. Si un conflit impliquant la famille de Jules survient, ma famille sera un soutien pour celle de Jules.

Le mariage créateur de société

« Dès lors que l’on reconnait que le mariage unit des groupes plutôt que des individus », on peut éclairer beaucoup de coutumes note Claude Lévi-Strauss. Le mariage est une forme d’union reconnue par la société, par exemple aujourd’hui il n’a de valeur que s’il est validé par l’Etat. C’est aussi un acte fondateur de société via le lien qui se crée entre les groupes familiaux d’origine. Cette union entre deux êtres issus de familles différentes est aussi ce qui permet d’éviter l’endogamie et de créer le lien social. Cette mixité crée la société.

famille conjugale
© Jeremy Wong

En Nouvelle Guinée, on dit que « le mariage a moins pour but de se procurer une épouse que d’obtenir des beaux-frères », je vous laisse méditer là-dessus quand vous rechignerez à l’idée d’aller dans sa famille. Dites-vous que par votre union et votre famille conjugale vous faites acte de société et participez à son renouvellement !

Le regard éloigné, Claude Lévi-Strauss, Plon, 1983. Chapitre 3 : famille, mariage, parenté.